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Les limites du devoir de l'avocat de négocier avec la partie adverse - JLMB 2024
Justice de paix du canton d’Herstal - 14 octobre 2022
Avocat - Responsabilité – Obligation de moyens et de résultat – Négociation.
Observations.
L’avocat assume une obligation de moyens dans les aspects matériels de son intervention et une obligation de résultat dans les aspects formels de celle-ci.
Le fait de perdre un procès n’engage nullement une responsabilité pour l’avocat, pour autant qu’il y ait raisonnablement porté tous ses soins. En sa qualité de mandataire, l’avocat est tenu à bonne et fidèle exécution du mandat. L’absence de négociations avec la partie adverse n’est pas fautive alors que, sans même solliciter un rendez-vous par écrit, l’avocat est malgré tout entré en contact avec la partie adverse pour négocier et, de l’accord de la cliente, a maintenu le lancement d’une procédure en tant que levier de négociation.
(S.P.R.L. L. / Murielle)
(…)
I. Objet de la procédure – Position des parties
La présente cause porte sur la récupération d’un solde d’honoraires et frais par la partie demanderesse, la S.P.R.L. L., soit sur le paiement d’une somme de 5.128,06 euros au total (arriérés d’honoraires et de frais) à majorer des dépens liquidés à 1.482,21 euros (frais de citation : 222,21 euros ; indemnité de procédure : 1.260 euros) et des intérêts moratoires au taux légal à dater du présent jugement.
La défenderesse originaire, Murielle a introduit une demande reconventionnelle par voie de conclusions, mettant en cause la responsabilité professionnelle de la S.P.R.L. L. ; vu que la S.P.R.L. L. a, selon sa thèse, manqué à ses obligations contractuelles et commis des fautes lors de l’exécution de son mandat, la facture litigieuse ne serait pas due ; elle invite par ailleurs le tribunal à fixer ex aequo et bono son dommage à 5.128,06 euros de sorte à ce qu’une compensation puisse intervenir. À cet égard, trois griefs sont formulés : les termes du mandat n’auraient pas été respectés (absence de négociations avec la ville de S. avant et après la citation devant le tribunal de première instance) ; la demanderesse aurait manqué aux devoirs de conseil incombant à l’avocat (il n’aurait pas répondu à ses questions, notamment sur la suite à donner à un courrier essentiel du 28 août 2018) et il aurait mal instruit le dossier ; enfin, et par conséquent, des éléments essentiels n’auraient pas été communiqués à la cour d’appel de Liège.
Ces reproches sont vivement contestés par la S.P.R.L. L. qui soutient avoir suivi la marche définie en commun, avoir discuté de la marge de manœuvre et avoir réservé tout le suivi possible au courrier du 28 août 2018, compte tenu de sa portée réelle.
II. Faits et rétroactes
1. En avril 2016, Murielle, a fait appel à Maître A.L. dans le cadre d’un litige qui l’oppose à la ville de S. : ce litige concernait un immeuble situé à S., rue (…) qu’elle avait acquis le 15 février 2007 et qui était alors divisé en seize logements.
En effet, la ville de S. avait dressé un procès-verbal de constat d’infraction urbanistique portant sur la création de logements supplémentaires sans permis d’urbanisme préalable. Selon les explications de la partie demanderesse, ce constat avait été dressé en 2012, lorsque la défenderesse souhaitait mettre l’immeuble concerné en vente.
2. Le 29 avril 2016, la partie demanderesse a transmis ses conditions d’intervention à la partie défenderesse.
3. Par la suite, différents courriels ont été échangés entre les parties, entre autres les 4 mai 2016, 12 et 20 mai 2016, le 16 janvier 2017 et le 16 mai 2017 : la défenderesse rappelle notamment souhaiter obtenir une renumérotation de « ses studios » pour pouvoir vendre « au mieux » son immeuble et avoir pour objectif « minimum (…) d’obtenir un formulaire de renseignement urbanistique qui mentionnerait ces dix logement "réguliers" » ce qui pourrait la mener à abandonner l’idée d’obtenir des dommage et intérêts de la commune. Enfin, des courriels ont été échangés concernant l’approvisionnement de l’huissier de justice afin de lancer citation.
4. Le 9 juin 2017, une citation a été introduite devant le tribunal de première instance de Liège, division de Liège, afin de faire reconnaître le caractère régulier de dix logements présents dans l’immeuble litigieux. En effet, aux termes du dispositif, le tribunal était invité à :
1. dire pour droit, qu’en 1989, existaient dix logements distincts dans le bien (…) ;
2. dire pour droit que la défenderesse a commis une faute en ne mentionnant pas l’infraction dans le certificat d’urbanisme n° 1 daté du 9 février 2007 et en délivrant – à situation inchangée – le certificat d’urbanisme contraire, en date du 11 juin 2012, en lien causal avec le dommage subi par la demanderesse ;
3. condamner la défenderesse à verser à la demanderesse la somme de 10.000,00 euros provisionnels, à majorer des intérêts moratoires au taux légal à partir du jugement à intervenir et jusqu’à complet paiement ;
4. condamner la défenderesse aux entiers frais et dépens de la procédure.
Dans un courriel du 20 juin 2017, Maître L. explique à cet égard avoir cité « en urgence » vu qu’en fonction de la manière de calculer les délais, le « laps de prescription tombait le 11 juin sans possibilité de prorogation du fait du week-end ». Aucune contestation n’a été soulevée à ce sujet.
5. Des paiements sur honoraires et frais ont été sollicitées par la suite, soit :
– un état du 6 septembre 2017, d’un montant de 1.241,47 euros ;
– un état du 17 janvier 2018, d’un montant de 1.063,46 euros, apuré à concurrence de 300 euros seulement.
Ces demandes ont dû faire l’objet de plusieurs rappels sans être honorées : l’état du 6 septembre 2017, le 17 janvier 2018, majoré de 10 euros de frais de rappel et faisant courir les intérêts moratoires à partir du 22 janvier 2018 ; l’état du 17 janvier 2018, le 18 octobre 2018, majoré de 10 euros de frais de rappel, faisant courir les intérêts moratoires sur le solde restant dû, soit 763,46 euros, à partir du 23 octobre 2018.
6. Par jugement du 23 mai 2018, le tribunal de première instance a déclaré la demande de Murielle non fondée et l’a condamnée aux dépens liquidés à 2.400 euros.
En effet, le tribunal estime qu’aucune faute n’a été commise par la ville de S. à qui « il ne peut être reproché (…) de ne pas avoir ajouté, en sus des mentions obligatoires requises, l’existence d’une infraction relativement à cet immeuble (…) » vu qu’aucune infraction n’était constatée. Par ailleurs, le tribunal estime que le dommage dont Murielle a postulé réparation est en réalité imputable à sa seule négligence ; le tribunal relève qu’elle a signé un acte d’acquisition qui rappelait expressément que le bien n’avait fait l’objet d’aucun permis d’urbanisme ; par ailleurs, selon le tribunal, elle a, lors de la mise en vente, omis d’interpeller expressément la ville de S. sur la question de la régularité des seize logements présents dans l’immeuble (…) « comme l’ont fait les autres candidats acquéreurs (…) ».
7. Le 30 juillet 2018, une requête d’appel été déposée. L’existence d’un mandat en ce sens n’a pas été contestée.
Quatre griefs sont développés dans cette requête, portant notamment sur la responsabilité aquilienne de la commune de S. (article 1382 du Code civil), soit : la faute de la commune (grief 1) ; l’absence de faute dans le chef de Murielle (grief 2) ; la violation de l’article 149 de la Constitution en raison de l’absence de motivation quant à la question de l’existence de dix logements distincts en 1989 (grief 3) ; et la liquidation des dépens par le tribunal (grief 4).
Il est expliqué, entre autres, pour quelles raisons, il aurait fallu admettre une faute de la commune lorsque celle-ci a délivré deux formulaires d’informations notariales divergents ; aussi, il est soutenu que la commune était ou aurait dû être au courant de la situation du bien litigieux déjà en 2007 : au vu des investigations en 2012, « (…) il est indubitable qu’au moins un de ces deux formulaires d’informations notariales reprend des informations incorrectes, considérant que la situation des lieux n’a pas changé entretemps ».
8. Aucune provision n’a été versée par Murielle mais celle-ci a persisté à solliciter des prestations. Lors de l’audience de plaidoiries, Maître A.L., quoique toujours pas provisionné, a comparu par déférence pour la cour.
9. La cour d’appel de Liège n’a pas suivi la thèse de Murielle : par un arrêt du 11 octobre 2019, elle a confirmé le jugement entrepris et précisé que la faute reprochée à la ville de S. n’était pas démontrée :
« En l’absence d’indice sérieux d’infraction, il est reproché à tort à la ville de S. de ne pas avoir recoupé des informations dont disposaient différents services de la ville avant 2007.
Ce n’est qu’en 2011 que l’attention du service de l’urbanisme a été attirée sur la situation de l’immeuble litigieux par deux candidats acheteurs, ce qui a motivé qu’une enquête soit initiée en septembre 2011 ».
En ce qui concerne les dépens, à défaut pour Murielle, d’avoir déposé des pièces probantes, la condamnation du tribunal de première instance a été confirmée. Quant à l’appel, il a été décidé que chaque partie conserverait la charge de ses dépens.
10. Dès lors, la procédure a été clôturée et un dernier état a été dressé le 24 octobre 2019 : celui-ci porte sur la somme de 2.547,76 euros.
11. Le 7 novembre 2019, une mise en demeure e été adressée à Murielle.
Dans la mesure où aucun paiement n’est intervenu par la suite, la présente procédure a été introduite par citation du 3 juillet 2020.
12. Par jugement du 5 mars 2021, le tribunal a, avant dire droit, soumis la cause pour avis au Conseil de l’Ordre des avocats du barreau de Liège-Huy.
13. Le Conseil de l’Ordre du barreau de Liège-Huy a rendu son avis le 9 novembre 2021. Après l’examen des critères de la juste modération (soit l’enjeu du litige, la nature et l’ampleur du travail réalisé, le résultat obtenu, la capacité financière du client et la notoriété de l’avocat), il conclut ce qui suit :
« Au vu des éléments objectifs et concrets qui lui ont été soumis, le Conseil de l’Ordre constate (…) que les états d’honoraires et frais réclamés par Maître L. à Murielle répondent aux règles de la profession et n’excèdent pas les limites d’une juste modération (article 446ter du Code judiciaire ».
On relèvera à cet égard qu’en ce qui concerne l’enjeu du litige, le Conseil de l’Ordre a constaté que les deux parties étaient d’accord sur le fait que celui-ci a été important, les prestations réalisées par Maître L. et leur répartition au sein du cabinet ne pouvant pas être mis en cause ; quant au résultat obtenu, le Conseil de l’Ordre a rappelé que l’avocat assume une obligation de moyens, la question d’éventuelles responsabilités professionnelles de l’avocat devant être réglée devant les tribunaux ; enfin, le Conseil de l’Ordre a estimé que la capacité financière de Murielle avait suffisamment été prise en compte.
III. Motivation
Étant donné le lien étroit entre la demande principale et la demande reconventionnelle, celles-ci seront traitées conjointement ci-après.
III.1. En droit
Il est généralement admis que l’avocat assume une obligation de moyen dans les aspects matériels de son intervention, et d’une obligation de résultat dans les aspects formels de celle-ci (Civ. Liège, 14 octobre 2009, J.L.M.B., 2010, p. 1434).
Dans le cas d’une obligation de moyen, le comportement de l’avocat est envisagé in abstracto, à l’horizon de celui d’un professionnel normalement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances (C. Mélotte, « La responsabilité professionnelle des avocats », Responsabilités. Traité théorique et pratique, titre II, dossier 28bis, Bruxelles, Kluwer, 2005, p. 12 ; J.-P. Buyle, « Le conseil efficace », obs. sous J.P. Liège [1er canton], 4 septembre 1998, J.L.M.B., 1999, p. 466 ; J.-P. Buyle, « La responsabilité de l’avocat au regard de ses obligations de résultat », J.L.M.B., 2017, p. 1943).
Ainsi, le fait de perdre un procès n’engendre nullement une responsabilité pour l’avocat, pour autant qu’il y ait raisonnablement apporté tous ses soins (Liège [13e ch.], 22 janvier 2013, J.L.M.B., 2013, p. 1756 ; Bruxelles [4e ch.], 24 octobre 2016, J.T., 2016, p. 769, note Fr. Glansdorff, « Une limite raisonnable à l’obligation d’investigation de l’avocat »).
La preuve d’éventuels manquements repose sur le client qui doit démontrer que l’avocat n’a pas tout mis en œuvre pour remplir sa mission (Bruxelles [9e ch.], 10 novembre 2006, J.L.M.B., 2008, p, 229 ; Civ. Charleroi [5e ch.], 20 novembre 2008, J.L.M.B., 2009, p. 1435.). Quant au devoir d’information, l’avocat devra le cas échéant prouver avoir fait le nécessaire, cela notamment si un renseignement bien déterminé devait être donné (Cass., 25 juin 2015, R.G.A.R., 2015, p. 15219 et note Fr. Glansdorff).
Cela étant, la cour d’appel de Mons a récemment rappelé que lorsqu’il conseille, l’avocat agit tantôt dans le cadre d’un contrat d’entreprise, à savoir une entreprise de travail intellectuel tantôt dans le cadre d’un contrat de mandat. En sa qualité de mandataire, l’avocat est tenu à la bonne et fidèle exécution du mandat. Il répond à l’endroit de son mandant s’il lui cause un dommage en violant ses obligations de diligence et de fidélité (Mons, 28 janvier 2020, R.G.A.R., 2020, p. 15671).
III.2. Application à la situation de fait
Au vu de ce qui précède, Murielle devra donc prouver que la demanderesse a manqué à son devoir de conseil d’une part en omettant de lui communiquer toutes les informations nécessaires, et que d’autre part, elle aurait mal exécuté ses obligations de mandataire : Maître L. ne se serait donc pas comporté comme l’aurait fait un avocat normalement prudent et diligent placé dons les mêmes circonstances, ce qui lui aurait provoqué un dommage en lien causal avec ces manquements.
Or Murielle échoue à apporter ces preuves. En effet :
1° En ce qui concerne l’absence de négociations avec la ville de S. avant et après la citation devant le tribunal de première instance
• En ce qui concerne la phase « précontentieuse » :
Au vu des pièces du dossier et des précisions fournies par la demanderesse qui figurent notamment sur les pages 7 à 11 de ses conclusions additionnelles et de synthèse après réception de l’avis du Conseil de l’Ordre de la demanderesse, il s’impose de constater que le bien-fondé de ce reproche n’est pas démontré.
En effet, les pièces concernées consistent dans :
– des courriels et courriers échangés entre parties en 2016 et 2017 (courriels de Murielle du 4 mai 2016 et 29 mai 2017, courrier de Maître A.L. du 23 mai 2017) dans lesquelles celle-ci marque son accord avec la stratégie proposée, confie la direction du procès à Maître L. et approuve le maintien de la citation introductive d’instance en tant que « levier » de négociation ;
– la preuve du versement d’une provision sans réserve par Murielle ;
– un courrier adressé par Maître L. à la ville de S. le 24 mai 2016 relatant la position de Murielle soit la contestation de l’existence d’une infraction urbanistique étant donné que la division de l’immeuble en litige était antérieure à 1994 ;
– la lettre recommandé que Maître L. a adressé à la commune de S. le 31 mars 2017 avertissant du fait qu’une procédure judiciaire était envisagée (vu l’existence de seize logements avant 2007 et même avant 1994) et sollicitant une copie des registres de l’état civil pour la période 1993-1994 ;
– l’accusé de réception de la ville de S. du 27 juin 2016 .
Dans ces circonstances, il ne peut, ni être soutenu que la demanderesse ne se serait pas tenue à l’exécution de la mission confiée, ni, a fortiori, qu’elle ne serait pas entrée en contact avec la ville de S. pour négocier. D’ailleurs, aucune pièce du dossier n’indique que Murielle aurait, in tempore suspecta, critiqué les options prises ou démarches entamées par la demanderesse. Au contraire, la demanderesse pouvait supposer, vu les échanges entre parties, être couverte pour leur réalisation et mise en œuvre, En plus, le tribunal estime qu’il paraît légitime ou en tout cas pas fautif, de ne pas d’emblée avoir sollicité un rendez-vous par écrit auprès de la ville de S., vu que le service compétent (urbanisme) ne réagissait pas du tout.
En ce qui concerne la phase « précontentieuse », il paraît dès lors justifié que la partie demanderesse résume la situation comme suit :
« – Murielle avait, in tempore non suspecto par rapport à l’action principale actuellement pendant devant le juge de céans, tout confiance en Maître A.L. et avait décidé de lui laisser la gestion stratégique de son dossier.
La ville de S. n’a jamais répondu à une quelconque question de fond lorsqu’elle a été contactée par Maître A.L. (…).
Par son courriel du 4 mai 2016, Murielle elle-même fait part de la position de Monsieur M. selon laquelle elle se sent manipulée pour introduire une demande [de] régularisation qui sera de toute façon refusée ».
• En ce qui concerne la phase « contentieuse » :
On relèvera, à cet égard, qu’il n’est pas non plus démontré que la position de la partie demanderesse était telle qu’aucun avocat placé dans les mêmes circonstances l’aurait raisonnablement prise.
En effet, elle se résume comme suit et paraît, aux yeux du tribunal, ne pas se situer en-dehors de la marge des options raisonnablement possibles pour un professionnel :
« La ville de S. n’a jamais voulu reconnaître l’existence de dix logements dans le bien appartenant à Murielle et a fortiori ne voulait pas en reconnaître seize. Elle n’en reconnaissait que huit par courrier du 28 août 2018.
Elle ne voulait pas non plus reconnaître une quelconque responsabilité pour avoir fourni des informations notariales contradictoires en 2007 et en 2012.
Raisonnablement, aucune négociation plus approfondie n’était possible. Cela aurait représenté une perte de temps et d’énergie augmentant inutilement les prestations à facturer à Murielle ».
Par conséquent, le grief consistant à reprocher à la demanderesse de ne pas avoir négocié avec la ville de S. ne sera pas retenu. A fortiori, il ne sera pas admis qu’elle n’aurait pas exécuté son mandat ou mal instruit le dossier.
(…)
Il s’ensuit que la demande principale sera déclarée recevable et fondée. La demande reconventionnelle sera rejetée.
(…)
Dispositif conforme aux motifs.
Siég. : Mme Chr. Brüls. Greffier : Mme C. Bontemps.
Plaid. : MesM. Billen et D. Beck.
J.L.M.B. 24/172
Observations
Les limites du devoir de l’avocat de négocier avec la partie adverse
Dans le cadre d’une affaire en recouvrement d’honoraires, une cliente reprochait reconventionnellement à son avocat de ne pas avoir, dans le cadre d’une procédure judiciaire, négocié avec la partie adverse. Elle considérait qu’il s’agissait d’un manquement professionnel de l’avocat, dans le cadre de l’exécution de son mandat.
Certes, l’objectif de tout juriste qui négocie est de parvenir, si possible à un rapprochement des positions[1]. Mais aucun texte n’élève au rang d’obligation la nécessité pour l’avocat de négocier, dès lors que le client ne lui donne pas une marche à suivre dans chaque situation[2].
Dans le cadre d’un litige, s’il s’avère que la négociation est sans doute la meilleure option pour obtenir gain de cause, il est de l’intérêt du client de recourir à ce processus. À l’inverse, si ce n’est pas le cas, l’avocat, disposant d’une liberté d’action, n’est pas tenu d’effectuer une telle négociation. Un avocat prudent et diligent n’est tenu de négocier que quand l’intérêt du client y préside.
L’intérêt du client est une norme déontologique importante. Il est essentiel pour la profession d’avocat qu’il agisse en toute indépendance dans le seul intérêt du client[3]. Mais l’avocat conserve sa liberté d’action à condition bien sûr d’agir au mieux des intérêts de son client[4].
Dans le cas d’espèce soumis à la justice de paix du canton de Herstal, le client avait invité son avocat à négocier avec la partie adverse. Cela ressortait d’un mandat exprès donné à l’avocat.
Estimant à bon droit que ce devoir constitue une obligation de moyens, le juge a considéré que le comportement de l’avocat devait être envisagé in abstracto, à l’horizon de celui d’un professionnel normalement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances[5].
En ce qui concerne la phase précontentieuse du procès, le tribunal relève que la cliente avait confié la direction du procès à son avocat et avait approuvé le maintien de la citation introductive d’instance en tant que « levier » de négociation.
Le tribunal précise que la cliente ne démontrait pas que son avocat n’était pas entré en contact avec la partie adverse pour négocier alors que précisément celui-ci avait envoyé plusieurs courriers à la partie adverse. Il n’est pas fautif de ne pas d’emblée avoir sollicité un rendez-vous par écrit, dans la mesure où la partie adverse ne réagissait pas du tout.
Dans le courant de la procédure, le juge de paix relève qu’aucune négociation plus approfondie n’était possible. Cela aurait représenté une perte de temps et d’énergie, augmentant inutilement les prestations à facturer au client.
En conclusion, lorsque l’avocat est mandaté pour négocier par son client, cette obligation est une obligation de moyens. Le non aboutissement de la négociation, pour quelque motif que ce soit, n’est pas de nature à engager nécessairement la responsabilité de l’avocat.
Jean-Pierre Buyle
Avocat au barreau de Bruxelles
[1] J. Stevens, Advocatuur : regels en deontologie, 1re édition, p. 496 ; Regels en gebruik van de advocatuur te Antwerpen, 2e édition, p. 355.
[2] E. Niemeijer et M. Ter Voert, « Vertrouwen onder druk. Vrije beroepen tussen professie en commercie, Justiciéle verkenningen », 2005, n° 3, (9) 28, in De deugdethiek als aanvulling op de deontologie, E. Lancksweerdt, D&T, 2018/1, p. 10.
[3] G. Lindemans, « Een delicate balans : de deontologie van vennootschapadvocaten – knelpunten in de fiduciaire driehoek tussen advocaten, clienten-vennootschap en instructor », D&T, 2015/2, p. 167.
[4] B. Theeuwes, « De onhafankellijkeid van de advocaat », R.W., 1982-1983, p. 37 ; Conseil discipline appel barreau Anvers, 23 février 1983, R.W., 1982-1983, p. 2347 ; G. Lindemans, op. cit., p. 168.
[5] Outre les références citées dans le jugement, cons. V. Coignez, partie 11. « De aanspraakelijkheid van de advocaat », in Handboek voor de advocaat-stagiair. Deontologie, T. Bauwens, E. Boydens, H. Buyssens et autres, Malines, Wolters Kluwer, 2002, p. 507.